colère des hommes
Conférence sur la condition masculine et la santé mentale. Consultations en créativité auteur, conférencier et consultant en créativité
  • Courtes nouvelles littéraires

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    14/03/2025



      Blues sida blues Modèle vivant Fait d’hiver… Qui suis-je? La cinquantaine Le carré de mon enfance... Monsieur Jules
    Le petit garçon qui a perdu la voix

    Monsieur Jules





    « Bonjour ma p’tite dame! Comment va votr’pensionnaire, aujourd’hui? » Disait-il, depuis quelques temps, n’oubliant jamais sa civile manie de lever son chapeau tout en continuant son chemin; sans même attendre qu’on lui réponde.

    Jusqu’à il y a deux jours, tous les villageois évitaient de le rencontrer, trop embarrassés de répondre, puisqu’aucune maison du village n’hébergeait de pensionnaire. Ils en étaient tous venus, en cachette, à le surnommer « le fou », puisque personne n’y comprenait rien.

    « Ma foi, il souffre sous le chapeau! » Disaient certains... « Qu’il retourne d’où il vient! » Ajoutaient d’autres, n’usant d’aucune gentillesse.

    Mais aujourd’hui, le village est perplexe plus que triste. Il s’appelait Monsieur Jules. En effet, on a découvert sans vie celui que l’on croyait fou! Le petit livreur de journaux trouvait bizarre qu’il ne vienne pas à sa rencontre, comme à son habitude. Fait très curieux, ni sa bicyclette n’avait bougé de la matinée.

    Les Principautés du village avaient ouvert, accompagnés du concierge, et découvert un petit appartement tout embaumé du parfum des derniers lilas de mai. Une lettre dédiée à sa pensionnaire, qu’il avait pris la peine d’épingler, pendait aux rideaux de sa fenêtre.

    Un spectacle enivrant s’offrait aux yeux de tous, à la seule vue du fleuve dans sa fougue du printemps. Mais, une autre mise en scène les frappa tous de stupeur!

    Monsieur Jules reposait dans son lit, propre, comme il savait lui-même si bien le faire. Son petit chez-lui resplendissait. Comme s’il avait tout préparé soigneusement pour partir dans la plus grande dignité.

    La nouvelle s’est propagée en amont comme en aval! Tout le village est chez Monsieur le Notaire pour entendre à voix haute la lecture de cette intrigante lettre laissée à cette anonyme pensionnaire.

    Les curieux s’entassent et s’empilent les uns sur les autres, silencieusement; les mentons écrasés sur le secrétaire ne démontrant aucune impatience de peur d’être expulsés!

    « Silence! »

    Cette exclamation subite de Monsieur le Notaire trahissait sa hâte de débuter la lecture du contenu de ce bien curieux testament. Son « rhumm! Rhumm! » solennel, causa un silence de mort...

    « Toi, ma pensionnaire, toi qui m’habite depuis toujours. Ma Grande Amie... si pure, si douce, tu m’appelles. Je le sens, je le sais. Si tu es prête, je le suis aussi. J’ai tout préparé. ...J’étais si jeune, quand j’ai senti pour la première fois ta main qui m’a toujours guidé depuis. Tu m’avais soufflé, comme ça, un jour : « Change de pays! » Et je suis venu. Je t’ai toujours écouté et je ne l’ai jamais regretté. Toi, tu savais la chose la plus étonnante qui m’attendait ici, l’Âme-Frère incarnée dans le corps du plus beau jeune homme de l’époque. Toi seule, sait comme je l’ai aimé!

    Tu sais aussi, que l’heure est venue d’aller le rejoindre... Je reprends le bateau aujourd’hui encore. C’est le plus beau jour de ma vie! Je suis prêt. Prends-moi! Chère pensionnaire. Suis-je trop vieux pour que tu me berces et me conduises vers lui? N’est-il pas notre Frère-Âme à tous les deux? Je vous rejoins à l’instant... On allume déjà les feux de votre Monde, je vous vois! ... J’arrive!

    Sur le quai, il m’attend! Dieu qu’il est beau!

    ...À vous qui lirez cette lettre. Soyez heureux puisqu’enfin, l’heure est venue de me retrouver dans les bras de celui qui a tant su m’aimer et que la guerre m’avait arraché cruellement, la nuit de mon trentième anniversaire. Je souhaite à tous, beaucoup de bonheur et rappelez-vous que qui que vous soyez et quoi que vous fassiez; une pensionnaire, non seulement, vous habite mais, vous guide de sa Divine Sincérité. »

    Tout le village est bouche-bée! Les sacs à mains s’étaient ouverts ensemble pour y prendre les papiers-mouchoirs servant à assécher les yeux et les nez déjà oedémaciés de tendresse, de larmes et de regrets surtout.

    L’ennui se fait déjà sentir.

    On ne verra, Monsieur Jules revenir du marché, plus jamais. Un post-scriptum au bas de la page, difficile à lire, est dédié à la femme du restaurateur.

    « P.S. À Madame Charlotte, mes pousses de thym français, de persil italien, de fenouil prêtes à être coupées; vous en raffolez tant! »

    « Répandez je vous prie, mes cendres sur le fleuve. Ce fleuve, qui restera ma route pour toujours. Je vous embrasse tous. »

    « Monsieur Jules. »

    Juin, c’est le deuil. Le village vit en silence depuis la disparition de celui que l’on croyait sénile.

    On se dit bonjour, tout bas.

    Certains, les plus braves, osent se demander des nouvelles de leur pensionnaire. D’autres, ne poseront sur le fleuve le même regard, plus jamais.

    
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