Courtes nouvelles littéraires |
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14/03/2025 |
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Le petit garçon qui a perdu la voix |
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![]() Kyrie eleison Seigneur prends pitié Kyrie eleison Seigneur prends pitié Kyrie eleison Seigneur prends pitié |
J'ignorais que ma voix puisse être entendue parmi les autres. Le désir d’être reconnu, sans doute que je le ressentais comme tous les autres enfants. Le désir d’être aimé empêchait ma capacité de voir les autres Enfants de Chœur mais, l’enfant anxieux que j’étais, désirait certainement disparaître au sein de la Chorale composée de jeunes garçons pré-pubères comme moi. S’il existait la moindre compétition entre nous, je l’ignorais. S’il fallait qu’on me remarque, je baisserais le ton. J’ai le souvenir de cet enfant angoissé qui regrette amèrement s’être proposé pour faire partie de la Chorale. Il ne souhaitait pas non plus devenir servant de messe, il n’y avait même jamais pensé. Je chantais avec ma grande sœur à la maison mais chanter à l’Église, j’ignorais posséder ce qu’il fallait. J’ai encore le vif souvenir du jour où le célébrant avait réagi à ma voix. Il ne s’était pas retourné mais sa nuque s’était contractée. Sa réaction m’avait incité à cesser de chanter. Je croyais avoir émis une fausse note. Ce n’est que le dimanche suivant qu’il m’a pris par les épaules et m’a placé devant les autres et m’avait dit c’est d’un soprano comme toi que nous avions besoin. Je ne comprenais pas ce qu’il avait voulu dire. La seule référence pour moi c’était la vie du petit Josélito « l’Enfant à la voix d’or » qui passait souvent à la télé. Sa voix me fascinait et je le trouvais chanceux de chanter de cette façon. Jamais chez-moi on me disait que je chantais bien. Les compliments se faisaient plutôt rares. Je me souviens d’avoir entendu une ou deux remarques élogieuses sur les dessins de mon père et ceux de mon grand frère mais moi j’adorais danser et danser c’était pour les filles ! Alors, on se taisait… pour ne pas en ajouter et surtout pas m’encourager. Devenu en fait l’enfant transparent, autosuffisant et autonettoyant comme je me plais à le dire depuis quelques années. Isolé, la lecture est vite devenue mon évasion. Des bonnes notes à l’école ! Ça ne faisait pas l’affaire de mon père….non plus. Quand le célébrant m’a pris par les épaules pour me placer devant, je me suis d’abord senti humilié. Mais, quand il m’a demandé de venir servir les vêpres, je me suis senti apprécié, privilégié. La Sacristie à peine éclairée et cet air humide rendaient l’endroit étrange. Je me dépêchais à mettre la soutane et le célébrant insistait à chaque fois pour nous aider rendu au surplis, mon co-équipier et moi. |
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Puis, les soirs de vêpres défilaient. Cela devenait de moins en moins un sacrifice de m’y rendre. Le Célébrant me posait des questions sur ma famille, combien j’avais de frères et de sœurs, sur mes résultats à l’école, je le trouvais de plus en plus gentil et l’anxiété était presque disparue. Je me trouvais à ma place… Jusqu’au soir où nous étions seuls. Je n’ai pas osé poser trop de questions. Je connaissais le rituel par cœur. Je continuais à me vêtir et l’aidais quand il me le demandait. Mais, à l’étape de passer le surplis par la tête m’apparaissait de plus en plus étrange car à quelques reprises j’avais senti ses mains furtives me frôler pendant cette courte seconde. Que voulait dire cet étrange frôlement ? Mon coeur battait la chamade à chaque fois mais pourquoi ? Qu’avait-il l’intention de faire ? Les compliments ont commencé. Il me disait que j’étais beau. Tout ça commençait à moins me plaire. Ce soir-là fier de lui montrer mon surplis propre que j’avais moi-même repassé, il m’a félicité chuchotant comme ne voulant déranger personne, mais déranger qui ? Et comme si c’était écrit dans le ciel depuis le début, le passage à l’acte est arrivé. Il était devenu de plus en plus insistant rendu à l’étape du surplis et ce soir-là les frôlements sont devenus des attouchements profitant de cette seconde où je ne voyais rien pour détacher mon pantalon et prendre mon sexe de toute sa grosse main le serrant si fort qu’un cri s’était échappé de ma bouche ! |
J’ai tout enlevé et me suis sauvé ! Le laissant seul. …Je ne suis plus jamais revenu. J’avais onze ans. À la même période à l’école, nous pouvions prendre des cours de solfège. Je m’étais inscrit croyant apprendre à lire la musique et en apprendre aussi sur les mystères de la voix. Malheureusement, les émotions à fleur de peau et les dénigrements du professeur de solfège m’empêchaient de comprendre et d’apprendre. J’avais beau lever la main pour demander des éclaircissements, la question d’un autre élève passait toujours en priorité. Ses moqueries incessantes m’ont incité enfin à me taire. Je n’arrivais plus à retenir quoi que ce soit. Une blanche, une croche une double croche ne me disaient absolument rien… Le professeur persistait à m‘humilier, me ridiculiser devant les autres. L’examen coulé, mon premier… La noirceur totale ! Je le détestais. |
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Je ne chantais plus. La gêne me faisait fausser. Je ne chanterai plus jamais. Chanter voulait dire reprendre contact avec l’intensité de mes émotions. Cette intensité me faisait peur. Kyrie eleison Seigneur prends pitié Kyrie eleison Seigneur prends pitié Kyrie eleison Seigneur prends pitié À douze ans je décidais de ne plus jamais mettre les pieds dans une Église au grand bonheur de mon père qui détestait toutes ces « bondieuseries » omettant surtout de me demander pourquoi… La puberté n’aidant aucunement, les complexes se sont multipliés associant « compliments » « idées derrière la tête » et « grosses mains insistantes ». Mes treize ans ont été l’année la plus difficile de ma vie menant à l’ennui et jusqu’à l’envie de m’enlever la vie le jour de mes quatorze ans. Dimanche, treize novembre mille neuf-cents-soixante-six, le jour de mes quatorze ans! Je ne pensais qu’à mourir… Comme beaucoup de gars qui ont été touchés trop jeunes, depuis l’âge de douze ans mon enfance était belle et bien terminée. Je fumais, je n’allais plus à l’Église, je ne voulais plus qu’un homme me touche, ni personne d’ailleurs, même par affection. Je me suis protégé des mauvaises intentions. J’avais complètement occulté la découverte de ma sexualité, enfoui ma vraie nature et mon orientation tellement loin! Je n’étais vraiment pas bien dans ma peau. |
L’intimidation s’en est suivie. Un mauvais rapport avec mon corps ne m’a pas conduit vers le sport non, mais plutôt la danse! La musique me rentrait dedans. La musique s’accordait parfaitement avec mon intensité. La danse m’a permis de vivre mes premières rencontres avec les filles… puisque la plupart des gars ne dansaient pas. Rencontres platoniques entendons-nous bien. Je retardais la découverte de mon corps. J’avais l’identité comme une passoire. Je me vois encore, la cigarette au bec, mon Pepsi, au Café Hong Kong sur le coin de ma rue, affublé d’une fausse désinvolture. Mes nouveaux amis et amies étaient tous plus vieux et toutes plus vieilles que moi. Je me sentais accepté, protégé. Je me permettais de rentrer tard. De toute façon, l’enfant invisible que j’ai toujours été passait de plus en plus inaperçu. Je savourais mon statut d’ado autosuffisant et autonettoyant ! Transparent…invisible.
Kyrie eleison Seigneur prends pitié Kyrie eleison Seigneur prends pitié Kyrie eleison Seigneur je ne veux plus de ta pitié ! Je suis donc devenu le petit garçon qui à jamais avait perdu la voix… |